HABITAT ET LOGEMENT

Les enjeux liés au vieillissement, qui étaient déjà fort préoccupants avant la pandémie de COVID-19, sont devenus encore plus urgents et d’actualité. La pandémie ayant entraîné des conséquences tragiques qui ont touché particulièrement les aînés, elle aura permis de jeter une fois de plus la lumière sur les conditions de vie et d’hébergement inacceptables d’un grand nombre de personnes âgées au Québec, et sur les défis liés au dysfonctionnement du système actuel.

LE LOGEMENT, LE NERF DE LA GUERRE

Dans la foulée des hécatombes qu’ont connu les CHSLD en 2019, un mouvement social sans précédent s’est amorcé au Québec afin de dénoncer le manque de moyens et de personnel pour ces établissements, et aussi pour démontrer qu’en matière de logement pour les personnes aînées, les lacunes demeurent abyssales. On parle ici aussi bien de l’accessibilité financière que de la répartition des ressources sur le territoire, de la diversité de l’offre, des services offerts et de la participation aux décisions. Le problème du logement – et du logement abordable – demeure criant, et ce en particulier pour les aînés qui dépendent d’un système de retraite qui n’est pas particulièrement généreux.

C’était là le principal constat du rapport Bien vieillir au Québec – Fiche sur le logement, produit en 2020 par l’Observatoire des inégalités. On y apprenait que ce problème était particulièrement flagrant en milieu rural, qui subit depuis de nombreuses années un déclin important. Depuis 2008, la moitié des petites RPA (neuf unités et moins) ont fermé. Le seul type de RPA en croissance depuis 2008 étant celui composé de cent unités et plus, typique des grandes villes.

Pourtant, peu de progrès notables ont été constatés dans l’offre de soins et dans les conditions d’hébergement des personnes aînées au Québec, comme a pu le révéler la pandémie. De plus, les besoins vont s’accélérer au cours des prochaines années puisque les personnes aînées se retrouvent au centre d’une évolution démographique inédite de la population du Québec.

Ainsi, le Québec connaît et connaîtra un vieillissement de sa population qui sera particulièrement accéléré au cours des 10 prochaines années, ce qui nous place tous face à d’immenses défis. À titre d’exemple, en 2011, environ une personne sur six était âgée de 65 ans et plus, alors que ce groupe d’âge représente une personne sur 5 aujourd’hui, et qu’il atteindra une personne sur quatre en 2031, soit dans moins de 10 ans.

Pour ce qui est des groupes d’âge plus avancés, ceux qui courent de plus grands risques de perte d’autonomie et d’avoir davantage besoin de soins de longue durée, ils seront deux fois plus que les 717 000 personnes d’aujourd’hui, avec près de 1 458 000 personnes de 75 ans ou plus en 2040, dont plus de 970 000 auront plus de 80 ans. Cela représente l’équivalent de quelque 37 000 personnes de plus par an qui feront partie du groupe des 75 ans et plus.

Aussi, la hausse de la prévalence des maladies chroniques et des problèmes qui y sont associés risquent de prendre de l’ampleur dans les années à venir, au fur et à mesure que la population vieillira. Les dépenses en santé sont aussi plus importantes dans les dernières années de vie d’une personne. Les données récentes de l’ICIS révèlent que les dépenses en santé par habitant se situent en moyenne à 4 385 $, mais atteignent 6 502 $ chez les 65-69 ans, 8 217 $ chez les 70-74 ans, et jusqu’à 29 899 $ pour les 90 ans et plus1. On peut donc imaginer l’ampleur des coûts anticipés, même en conservant le niveau de services actuel.

Quant au coût du soutien à la perte d’autonomie, une étude récente de la Chaire de recherche sur les enjeux économiques intergénérationnels(CREEI) estime le coût total du soutien à la perte d’autonomie, qui comprend les CHSLD, les ressources intermédiaires et de type familial (RI-RTF) et les soins à domicile (SAD), à 6,2 milliards $ en 2020. Selon ses projections, dans le scénario de référence représentant le statu quo, le CREEI estime que ce coût passerait à 10,4 milliards $ en 2030 et à 25,6 milliards $ en 2050, ce qui représente une hausse de 320 % ou une multiplication par 4,1 en 30 ans2.

La hausse la plus importante se situerait du côté des CHSLD, où le coût total de l’hébergement passera de 3,9 milliards $ en 2020 à 17,6 milliards $ en 2050, soit une multiplication par 4,5. Les projections suggèrent qu’il faudrait développer plus de 40 000 nouvelles places en CHSLD d’ici 2040, ce qui représente presque le doublement de la capacité actuelle.

Tout comme le Québec s’est démarqué par ses politiques progressistes pour les familles et pour les femmes au cours des récentes décennies, il doit maintenant le faire pour les aînés. Pour ce faire, le gouvernement du Québec, suite à des consultations urgentes avec les personnes aînées, doit entreprendre sans tarder un réexamen complet de ses pratiques, car le cul-de-sac vers lequel nous voguons actuellement est aussi incompréhensible qu’inacceptable. Il faudra donc se donner collectivement les moyens de réussir cette nécessaire transformation afin de répondre adéquatement aux besoins grandissants de ces populations vulnérables.

FAIRE PREUVE D’IMAGINATION ET D’AUDACE

Pour un changement radical de modèle: faire les bons choix aujourd’hui pour demain

Retarder le plus possible la perte d’autonomie devrait donc, de toute évidence, être un des premiers objectifs à poursuivre. Il faudrait par la suite chercher à mieux répondre aux besoins en lien avec la perte d’autonomie pour les cas qui, malgré tout, le nécessiteront. Comme l’a démontré l’expérience étrangère, particulièrement dans les pays nordiques européens, privilégier les soins et les services de maintien à domicile, quel que soit le domicile, et retarder l’institutionnalisation en CHSLD, lorsque c’est possible (p. ex. pour les cas les moins lourds) permettraient de répondre aux besoins et aux préférences des aînés, tout en générant des économies en matière de dépenses publiques3.

Sachant qu’environ 40 000 personnes seraient déjà en attente de soins à domicile au Québec4, d’importants investissements publics dans les soins à domicile seraient évidemment nécessaires. Il importe donc d’exploiter davantage les autres possibilités existantes, actuellement sous-utilisées, et/ou explorer celles qui pourraient être développées rapidement.

Bâtir des communautés plus inclusives est le but ultime. Cela permettrait de repenser l’organisation du parcours des soins, la prise en charge de la dépendance et, plus largement, de replacer les personnes aînées en perte d’autonomie au centre des préoccupations de notre société.

Nous devons nous donner collectivement les moyens de réussir cette transformation pour répondre aux besoins grandissants des personnes aînées en perte d’autonomie.

Dans cet esprit, il faut exiger des principaux acteurs publics des milieu municipal et régional, de même que des organismes communautaires locaux et régionaux, de mieux encadrer et coordonner leurs efforts d’adaptation du milieu au vieillissement de la population, y compris le développement de l’offre de services 24h/7j (à l’aide des nouvelles technologies) facilitant le maintien et la participation active des aînés à la vie communautaire.

Cette transformation, passablement radicale, ne saurait s’effectuer sans l’apport indispensable des travailleurs de proximité, quelle  que  soit  leur  institution  d’attache  :  CLSC,  organisme  communautaire,  milieu scolaire,  service  de police,  service  de  loisirs, etc., afin d’instaurer  un  dialogue  constant  entre  tous  les  acteurs d’une communauté, et de partager  entre tous les informations stratégiques d’une réalité locale donnée détenues par différents acteurs .

L’objectif est de créer des  milieux de vie, des villes et villages intelligents,  d’impliquer  les  personnes aînées (pas  seulement  les intervenants institutionnels),  donc de faire  des  travailleurs  de  proximité  des  acteurs clés dans le développement de l’intelligence  collective  locale. 

Le but final est d’assurer  une présence  humaine,  attentive,  observatrice  et  bienveillante,  dans  chaque  milieu  de  vie d’aînés en perte d’autonomie pour les adapter aux nouvelles réalités du vieillissement au Québec.

Logements adaptés pour les seniors. vue d'une allée entre des maisons
Photo Cerema

Opérer un virage: des milieux de vie ouverts sur leur environnement, ancrés dans leur communauté

Les programmes QADA et MADA sont aussi d’excellents points de départs pour assurer la vitalité des communautés et transformer les villes, villages et municipalités en habitats inclusifs, pour ainsi les mettre au service des personnes aînées. Au-delà du domicile, c’est l’ensemble des politiques (mobilité, urbanisme, habitation, aménagement du territoire, etc.) qui doivent s’adapter au vieillissement démographique pour en faire de leur milieu de vie des environnements bénéfiques aux personnes aînées.

Il importe aussi de travailler avec détermination à l’actuel décloisonnement des générations (maisons de jeunes, club du 3e âge, abonnements familial, etc) et à la reconnaissance de l’importance des liens intergénérationnels comme vecteur de cohésion sociale et de mieux-vieillir pour les personnes aînées. La transmission d’expériences et de savoirs entre personnes d’âges différents est une source d’enrichissement mutuel basé sur l’échange et la réciprocité. En contribuant au rapprochement des générations et en favorisant le maintien à domicile, l’intergénérationnel se situe au cœur des enjeux d’adaptation de la communauté au vieillissement de la population et d’accompagnement et de soutien aux personnes en perte d’autonomie.

Les mesures actuelles visant à favoriser le maintien à domicile au Québec sont insuffisantes

Le financement direct et les incitatifs fiscaux devraient être ajustés afin de faciliter et renforcer le maintien à domicile. Les mesures existantes sont essentiellement les suivantes : le Crédit d’impôt pour maintien à domicile des aînés, le Chèque emploi service (CES), et le Programme d’exonération financière pour les services d’aide-domestique (PEFSAD). Ces mesures sont insuffisantes. Il faut les renforcer, tout en évaluant d’autres avenues potentielles afin que les différents services répondent davantage aux besoins réels des utilisateurs et des proches aidants, de façon efficiente, et ce tout en facilitant la croissance l’offre de services variables et diversifiés, permettant le maintien à long terme des personnes aînées dans leur domicile et leur milieu de vie.

L’allocation directe Chèque emploi-service est une modalité de prestation de services de soutien à domicile pouvant, dans certains contextes, être choisie par l’usager et l’intervenant. Cette modalité permet à l’usager de sélectionner et d’employer un travailleur qui dispensera certains de ses services de soutien à domicile, dans le respect de certaines balises. En 2019-2020, le nombre d’heures de services payées s’est élevé à 6 558 110.

Le Programme d’exonération financière pour les services d’aide domestique s’adresse aux personnes couvertes par le régime d’assurance maladie qui bénéficient des services d’une entreprise d’économie sociale en aide domestique reconnue par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Le programme offre une aide financière fixe ou variable. Celle-ci prend la forme d’une réduction du tarif horaire demandé par l’entreprise d’économie sociale pour fournir ses services.

Le crédit pour maintien à domicile est un crédit d’impôt remboursable. Le maximum est de 25 500 $ pour les personnes non autonomes et de 19 500 pour les personnes autonomes, et le budget 2021-2022 a bonifié ce crédit d’impôt en majorant le taux de 35 % à 40 % en 2025 (sur 5 ans) et par la bonification de l’aide fiscale pour les aînés (vivant en immeuble de logements). Le crédit d’impôt pour maintien à domicile a été mis en place en 2000 dans le cadre de l’année mondiale des personnes âgées. Voici quelques exemples de services de maintien admissibles donnant droit au crédit d’impôt: les services d’entretien ménager, les services d’entretien de terrain et de déneigement; les services pour des travaux mineurs à l’extérieur de la maison; les services d’aide à l’habillage, etc.

Notre système de santé doit passer d’une logique de prise en charge hospitalo-centrée (des résidants dans une chambre), fondée sur le placement dans des établissements d’accueil de type RI, RPA ou CHSLD, à une approche multidimensionnelle reposant sur la prévention et le maintien des personnes en perte d’autonomie dans de bonnes conditions et dans la dignité (des citoyens habitant un logement), à leur domicile et dans leur milieu de vie.

Le futur nous appartient

Il nous revient d’exiger et de collaborer à l’élaboration d’une stratégie ambitieuse d’adaptation de notre société aux enjeux du vieillissement. Un bel exemple de cette vision est l’initiative « Bien vieillir chez soi6 » qui encourage non seulement les personnes aînées autonomes à respecter des normes d’hygiène de vie qui visent le maintien en bonne santé le plus longtemps possible – les loisirs, l’activité physique et intellectuelle, l’alimentation saine, la socialisation, la mobilité et les soins adaptés aux besoins de chacun, mais qui explore également à l’échelle humaine, des initiatives innovantes – habitation, services de proximité, mobilité active, etc. qui contribuent à la transformation du milieu de vie des aînés en perte d’autonomie tout en favorisant un vieillissement épanouissant des personnes dans leur domicile et dans leur communauté. D’autres approches pourront aussi venir nourrir cette vision; mais un changement de culture et une transformation durable est inévitable. Les forces vives des diverses communautés sont déjà à l’œuvre afin d’assurer pour tous et dans les meilleurs délais possibles, un vieillissement en santé, dans le respect et la dignité.

Politique d’hébergement et de soins et services de longue durée : de bienvenue chez nous à bienvenue chez vous !

La Politique d’hébergement et de soins et services de longue instaurée par le gouvernement du Québec en 2021 énonce des orientations générales et inclusives qui s’appliquent à tous les types d’hébergement de longue durée (centre d’hébergement et soins de longues durée (CHSLD), ressources intermédiaires (RI), ressources de type familial (RTF), maisons des aînés et maisons alternatives) ainsi qu’à toutes les clientèles susceptibles d’y résider. 

Selon la ministre responsable des aînés, madame Marguerite Blais,  » notre priorité, pour les années à venir, est de créer des milieux de vie qui mettent tout en place pour assurer la qualité de vie et le mieux-être de toutes les personnes hébergées et des plus vulnérables, qu’ils soient aînés en perte d’autonomie, avec une déficience intellectuelle ou physique, vivant avec un trouble neurocognitif majeur, un trouble du spectre de l’autisme, un problème de santé mentale ou une dépendance. Nous voulons que les services et les soins qui y sont prodigués soient de qualité et correspondent aux besoins, aux préférences, aux habitudes de vie, aux valeurs et à la culture des personnes qui y vivent, parfois pendant plusieurs années. Ce que nous souhaitons, c’est qu’elles se sentent véritablement chez elles dans ces milieux de vie.« 

Quoique l’ébauche de cette politique soit guidée par de bons principes directeurs et que ses axes d’intervention soient pertinents, (à commencer par l’importance accordée à la personne hébergée, ce qui représente en soi une avancée majeure), l’enjeu du manque de personnel soignant représente un obstacle majeur à la réalisation des objectifs ambitieux de cette politique.

Comme le soulignait un rapport de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), le manque de personnel soignant est actuellement la source de beaucoup de tensions et de manquements dans le réseau de la santé. Des manquements qui se sont souvent traduits par de la maltraitance organisationnelle et systémique à l’endroit d’aînés.

Finalement, bien qu’une entente soit récemment intervenue entre la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) et le gouvernement du Québec concernant la modification des ratios pour le personnel soignant en CHSLD, celle-ci ne couvre pas les soins d’assistance ni les établissements hors CHSLD. Pour le bien-être de l’ensemble des personnes ainées concernées, il faut que les ratios personnel soignant/patient soient rapidement améliorés dans tous les types d’hébergement de longue durée.

  1. ICIS, Tendance des dépenses nationales de santé, 1975 à 2021
  2. Clavet, Décarie, Hébert, Michaud et Navaux, Le financement du soutien à l’autonomie des personnes âgées à la croisée des chemins, Chaire de recherche sur les enjeux économiques intergénérationnels, février 2021
  3. Yanick Labrie, Rethinking Long-Term Care in Canada: Lessons on Public-Private Collaboration from Four Countries with Universal Health Care, Institut Fraser, octobre 2021, 82 p., h
  4. Roxane Borgès Da Silva et Claude Montmarquette, La démographie au Québec et le défi posé par les personnes âgées, CIRANO, août 2020, pp. 41-43
  5. Bien vieillir chez soi, projet de recherche-action réalisé dans le Bas St-Laurent, 2021

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